J’ai écrit et publiée en 2002 une petite brochure intitulée « DES ARMES POUR LA PALESTINE », que j’avais adressé à monsieur Jacques Chirac, le Président de la république d’alors.
Dans le contexte actuel d’hystérie médiatique et d’ignominie politiques, je ne résiste pas à l’envie d’en publier un extrait. Je suis sûr que vous boirez ces lignes avec délectation et qu’elles auront pour vos consciences mal menées par une propagande haineuse, un effet apaisant.
Vous n’en serez que plus déterminés a ne pas vous coucher devant les oukases liberticides de Darmanin et « A l’ouvrier d’autant plus grande qu’il vous ordonne de la fermer. »
Patrick Seignon. « lavoiedessansvoix.fr ». Dimanche 15 octobre 2023.
ÉMOTION
Attentat en Israël dans une salle de bal, six morts et de nombreux blessés, réaction immédiate de l’état Hébreu, de nouvelles habitations palestiniennes rasées par les bulldozers, les chars ce sont encore rapprochés, à Ramallah, de l’immeuble où est bloqué Yasser Arafat, les locaux de la radio palestinienne détruits, cinq palestiniens tués. C’était hier encore, 17 janvier 2002. Chaque jour apporte ainsi son lot de nouvelles accablantes, pour les victimes et pour leurs proches bien entendu, mais plus largement, pour les populations concernées, tant israéliennes que palestiniennes, au-delà, pour tous les êtres humains sensibles. Au nombre de ceux-ci, mon cœur saigne pour toutes les victimes de part et d’autre mes yeux pleurent des larmes de sang, j’éprouve l’irrépressible besoin d’écrire avec cette encre là pour tant de douleurs humaines dont je souffre avec la même intensité que si j’en étais affecté directement, dans mes proches, dans mes chairs ou mes biens. Le même soir l’actualité française faisait état, dans la rubrique, délinquance, devenue quotidienne, de l’incendie volontaire de plusieurs automobiles dans un village proche de Strasbourg, retombées de la violence urbaine en zone péri urbaine. J’étais attentif aux interviews de gens simples pour lesquels leur “voiture” est souvent le bien matériel le plus précieux et la plus part du temps indispensable, je voyais leur incompréhension, leur dépit affiché, leur colère rentré, je savais leur dégoût et leur peine quand ce n’est leur détresse, et ma réflexion ne pouvait s’empêcher, par ce genre de raccourcis singuliers propre à la pensée, de faire des rapprochements, par-dessus les frontières et les situations, entre le malheur de ces victimes de la violence illégale, témoin du délabrement social, et le malheur plus grand encore de ces autres victimes, pas si lointaines, de la violence institutionnelle, “légale” celle-là, et cyniquement planifiée. Songez, vous, me disais-je, victimes en colères, victimes indignées de la violence urbaine, à ce que serait votre détresse et votre écœurement si c’était votre maison que l’on était venu incendier. Songez-vous braves gens que dans les territoires autonomes palestiniens de telles exactions se produisent presque chaque jour et qu’elles sont le fait d’une armée légale, au mépris de toutes les conventions internationales, des soldats d’un pays « civilisé », amis et protégé de l’Amérique. Songez-vous paisibles citoyens français que ce sont les habitations des palestiniens que les chars et les bulldozers israéliens réduisent à l’état de gravats. Des maisons qui étaient leur richesse, leur berceau familial parfois, transmis de générations en générations, leurs attaches affectives pleines des souvenirs des aïeux et bruissantes encore de leurs rires d’enfants. Songez-vous car vous êtes, victimes vous-même, mieux en mesure de les comprendre à la force de leur ressentiment, à la légitimité de leur dégoût, à la colère qu’il leur faut bien intérioriser pourtant en présence de ces « casseurs », trop forts pour leur résister, si bien qu’ils sont contraints comme au spectacle de les voir opérer leurs forfaits sous leurs yeux effarés. Songez à l’humiliation qu’il y a de devoir assister impuissant à la destruction de ses biens. Victimes d’ici, les médias se mobilisent, les télévisions s’émeuvent, vous vous tournez vers l’état, vers la police, vers la justice, vers les assureurs, vers vos voisins ou vos amis, vous trouvez presque partout, écoute, compréhension, compassion, aide, solidarité. Les Palestiniens regardent autour d’eux ils ne voient rien que misère et désolation, silence ou mensonges. « Regain de violence au Proche-Orient, titrait le journal de vingt heures de TF1, un homme, palestinien a tiré sur la foule », voilà en effet une nouvelle bien dramatique, mais pourquoi elle, l’occupation de Naplouse le même jour n’était-elle pas une illustration bien plus éloquente de ce regain ? Le mensonge n’est pas toujours grossier et direct il est, plus souvent ainsi, insidieux sous des apparences anodines. Car en l’occurrence il s’agit-rien moins que de faire marcher la réalité sur la tête, quand les attentats palestiniens deviennent la cause de l’intervention israélienne et non les conséquences de celle-ci. L’autorité palestinienne n’est qu’un ersatz d’État réduit à l’impuissance, tant, qu’il lui faut tolérer qu’un État voisin envoi ses soldat fusiller ses enfants dans les rues de ses propres villes, cela sous l’œil, qui finit par paraître goguenard, cynique même, tant il est indifférent, des télévisions du monde entier, cinq minutes ou plus en début de journal sur l’ecchymose que c’est faite seul le président des États-Unis, en tombant parce qu’il avait avaler, nous dit-on, un bretzel de travers, cinq seconde en fin de journal pour faire état des cinq nouveaux morts palestiniens de la journée. J’ai bien failli m’étouffer à mon tour, mais d’indignation, pas vous ? Comment ne pas être outré d’un traitement tellement inégal et partial de l’information, insultant même, au bon sens et à la santé mentale des auditeurs. Les Palestiniens regardent vers l’Amérique “le grand pays démocratique”, qui se mobilise, au nom des frontières reconnues au Koweït, cette invention des colonisateurs anglais et pour le respect des résolutions de l’ONU sur le Kosovo, quand il s’est agi d’achever le démembrement de la Yougoslavie. Mais celui-ci oppose son droit de veto chaque fois que les nations unis veulent voter la moindre résolution défavorable à Israël, et n’a jamais pris contre cet état la moindre sanction pour le contraindre à appliquer les résolutions de l’ONU dont il se contrefiche depuis des décennies. Alors songez, vous n’aurez pas de peine à le concevoir, au sentiment d’injustice qui les assaille, sans l’excuser tout à fait, peut-être même comprendrez-vous un peu la haine que certains nourrissent pour l’Occident et pour Israël
Ce qui m’attriste par-dessus tout, plus même que la douleur physique et la détresse des victimes, c’est l’injustice et la mauvaise foi, ce sont les mensonges et l’impudence des arguments, la manipulation de l’information. Cela m’affecte d’avantage car je sais que de tels procédés entretiennent les causes de conflits et préparent les conditions de nouveaux drames, la perpétuation des ressentiments et des haines de nouvelles victimes et de nouvelles souffrances. Jusqu’où, et jusqu'à quand, faudra-t-il que se poursuive cet enchaînement fatal ? Je ne crains nullement que celles d’à présent, inévitables puisque déjà victimes, s’offensent de cette classification, elles n’auront nulle peine, au nom de ces autres victimes, évitables encore car seulement futures, à m’excuser cette gradation de mes ires et la hiérarchie de ma compassion. Pleurer sur les victimes est une chose naturelle et humaine mais elle est démagogique, et de peu d’humanité en vérité, s’il s’agit de pleurer, d’avantage sur les victimes d’un camp que de l’autre, comme si les êtres humains avaient un prix, si les vies israéliennes valaient plus que les vies palestiniennes. Mais pleurer surtout est de peu de conséquence si cela ne permet pas de s’interroger sur les causes des drames et les moyens propres à les éviter. Il faut s’interroger sur les circonstances objectives qui engendrent les conflits, et juger à cette aune, selon son libre arbitre, s’ils sont justes ou injustes. Toute autre approche est mensongère ou démagogique. C’est la réponse à ce questionnement qui doit conditionner nos choix personnels et justifier l’embrassement légitime de certaines causes. Or le jugement de chacun n’est pas, cela va de soi, toujours identique suivant le poste d’observation qui lui est particulier, ses racines nationales ou culturelles, son statut social, ses attachements et ses intérêts propres.
Les gens simples voudraient simplement que cessent les violences de part et d’autre. Mais il y a plus que la violence des actes et les douleurs qu’elle engendre. Il y a la « violence de situation », celle du joug subit, de la mise de son pays en coupe réglée, de l’asservissement et de l’exploitation, des sévices et de l’humiliation, de la discrimination et de l’injustice Tous ces maux enfin qu’un peuple ou un groupe humain doivent subir en silence sous l’épée de Damoclès menaçante des puissances constituées. Violence non exercée parfois quand les opprimés son dociles, non dites même, aussi longtemps qu’ils acceptent leur sort, mais foudroyante et terrible s’ils ne s’avisent jamais d’en contester la légitimité. Or, c’est le droit sacré des peuples de vouloir secouer les jougs qui les oppriment, de refuser de vivre à genoux, reniés par l’histoire La lutte de ceux-ci pour la reconnaissance de leur existence, de leurs droits, de leur dignité, est sans conteste, une lutte juste, qui les absout de la violence à laquelle il doivent alors nécessairement faire appel, car nul n’a jamais fait capituler la « violence constituée » par aucun autre moyen que ceux de la violence insurrectionnelle. Il existe deux méthodes par lesquelles peut prendre fin une situation conflictuelle. La première et la plus aisée, au moins en apparence, est la victoire totale de l’une des parties sur l’autre, qui suppose l’écrasement sans rémission de l’adversaire. La deuxième, souvent plus complexe dans les principes et plus délicate à mettre en œuvre, est celle du compromis, la recherche, à une certaine étape du conflit, d’une solution honorable, acceptable par les deux parties. Encore faut-il pour en assurer la durabilité, qu’il ne s’agisse pas d’un marché de dupe où l’une des parties se découvre « gros jean comme devant », ce qui en l’état actuel des choses est le cas précisément des palestiniens consécutivement aux accords d’Oslo. Mais tout accord quel qu’il soit ne fait que constater le rapport des forces entre les parties, et ne consent à chacune que ce qu’elle est en mesure d’exiger. C’est pourquoi il est vain et futile lorsqu’un « clausus-belli » apparaît, de se déclarer sitôt pour la paix, avant même que la partie demanderesse ait acquis une certaine reconnaissance, établi un certain rapport de force la mettant en mesure d’avoir quelques prétentions crédibles. Exiger d’elle qu’elle négocie prématurément c’est comme lui demander d’abdiquer son combat. La condamnation de la violence en général au nom d’une certaine éthique humaine, d’une doucereuse morale idéaliste, avant même d’avoir au préalable examinées les causes du conflit ni trouvés les moyens propres à le solutionner, est à la fois outrancière et indécente. Outrancière car elle n’est en vérité qu’une façon hautaine de formuler une fin de non-recevoir à l’interpellation qui en résulte, indécente, car condamnant la violence dont s’empare la partie demanderesse, elle occulte la « violence de situation » qui est l’attribue de la puissance constituée. Le pacifisme, que fonde les plus doux sentiments d’humanité, s’il n’y prend garde, devient lui-même, au nom du cœur, l’auxiliaire de l’oppression si se muant en pacifisme bêlant, par ses plaintes et ses larmoiements, il couvre la voix pétitoire de la justice et de l’équité. Pour être tout à fait loyale l’exigence de cessation des hostilités, voyons cela de façon très concrète à la lumière de l’exemple du conflit israélo-palestinien, devrait englober, bien entendu l’arrêt des violences actives de part et d’autre, mais aussi, et peut-être même surtout, la suppression de la « violence de situation » qui est faite au palestiniens, par le refus obstiné de leur accorder l’état auquel ils ont droit. “Et peut-être même surtout”... Ai-je écrit. Car par la reconnaissance immédiate du fait national qu’il représentent, avec la mise en possession de tous les droits élémentaires y affairant : celui à un territoire reconnu et sécurisé, celui a un état indépendant, celui à une armée sans laquelle il n’y a ni intégrité territoriale possible ni état véritable, on épuiserait les causes du conflit, si bien que les violences actives, devenues sans objet, s’éteindraient d’elles même, sans qu’il soit besoin de le spécifier Quand un peuple se lève et pétitionne, la solution équitable n’est pas de faire cesser les violences sous prétexte de l’examen ultérieur de sa cause, ce qui conduit nécessairement à une impasse pour celle-ci si ce n’est à sa précipitation aux oubliettes de l’histoire. Sans faire preuve d’une grande malhonnêteté intellectuelle ou cultiver des arrières pensées inavouables, nul ne peut, reconnaître à la fois la main sur le cœur, légitime la revendication nationale d’un peuple et lui interdire du même élan, le droit et les moyens de lutter pour la défense de celle-ci.