J’ai souvent fréquenté les gares. J’étais précisément dans l’une d’elle quand j’ai un jour croisé un misanthrope dont j’ai oublié le nom (il ne mérite d’ailleurs pas qu’on le retienne), qui se fendit à la cantonade de cette réflexion d’une grande intensité philosophique : « les gares sont des lieux où l’on croise des gens qui ont réussi et d’autres qui ne sont rien. » Cette sentence au vitriol m’alla droit au cœur, moi qui ne suis pas grand-chose.
L’individu, je l’avais reconnu. Il avait quelques années avant fait une bruyante campagne électorale afin de se faire élire « par effraction » à quelque haute fonction de l’État.
C’était lors de cette première campagne électorale, en 2017 crois-je, que j’avais interpellé en ces termes les équipes d’hurluberlus qui tractaient pour lui sur les marchés : « Vous n’avez pas honte, leur disais-je – déjà - de travailler pour une ordure pareille ?
Il est des gens comme celui-là que leur sobriquet dénomme mieux que leur identité.
Or, en ce temps, je dois bien l’admettre, quoique parfaitement judicieuse comme la suite le révéla, cette épithète aurait pu paraitre excessive à beaucoup d’entre vous. Beaucoup d’eaux fangeuses de notre cinquièmes République ont depuis « coulées sous le pont Mirabeau ». Les yeux se sont décillés, les esprits se sont ouverts, les réalités ont sauté aux visages des gens paisibles, et les cœurs laissent s’exprimer plus librement leur émotivité. Oui, je peux le revendiquer fièrement, je suis l’inventeur, bien avant tout le monde de ce petit nom qu’il exècre et qui pourtant l’habille si bien. Vous serez admiratifs j’en suis sûr de la présomption qui était mienne alors. Ce surnom d’apparence incongru à l’époque est à présent en partage dans une large partie de la population. Pour en avoir fait un usage public et direct, sans les précautions langagières dont je m’entoure, certaine citoyenne se sont vu infliger récemment une garde à vue et une mise en examen.
C’est que dans notre République super démocratique il est interdit d’exprimer librement son indignation. C’est que de notre idiome aux cent mille mots, selon mon pote le « Grand Robert », il est interdit d’en utiliser un grand nombre qui seraient pourtant fort utiles à exprimer de façon judicieuse notre mépris en retour à qui nous méprise.
Mais que l’on se rassure, l’interdiction », la confiscation, la coercition, n’enlèvent rien à la justesse d’autres mots ni à la légitimité de l’expression de la colère.
Les ordures, avant de rejoindre les tas d’immondices ou les usines d’incinération, ça n’est pas fait pour aller dans les Palais mais dans les poubelles. De la voirie ou de l’Histoire c’est selon leur genre et les règles acquises du « tri des déchets ».
Quoiqu’il en soit, saison des grands nettoyages voilà le printemps revenu. Une œuvre herculéenne vous attend Amis Citoyennes et Citoyens. Il est enfin temps de faire œuvre de salubrité publique, de curer les Palais d’Augias de la République.
Patrick Seignon. « lavoiedessansvoix.fr ». Jeudi 27 avril 2023.(publié le vendredi 28 avril).