Patrick Seignon

Poèmes, Chansons et contes.

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SAINT JEAN-BAPTISTE

J’aurais voulu être un artiste
Pour faire chanter mes amis
J’aurais voulu être un poète
Pour conjurer tous leurs soucis.
J’aurais été Saint Jean-Baptiste
J’aurais annoncé le Messie,
Celui qui naîtra dans les têtes
Du grand peuple des démunis.
Si j’avais été un artiste
J’aurais fait danser mes amis,
J’aurais convié à la fête
Les Parias et les Sans-logis.


J’aurais voulu être un esthète
Prendre mon pied avec ma tête,
Mais la bonne fée Carabosse
Qui veille sur nos destinées
M’a dit : « toi il faut que tu bosses
Regarde ! La voie qui te sied ! »
Depuis je roule des carrosses
Sur le réseau des voies ferrées.
Il n’y a pas lieu d’être triste,
Poète, n’est pas un métier,
Et si l’on était tous artistes
Qui est-ce qui les ferait manger ?...


Sur leur tas d’or, ils mourraient tristes
Si l’on s’arrêtait de trimer.
Mais la bonne fée Carabosse
Qui veille sur leurs intérêts
A tout prévu, même les crosses,
Pour nous empêcher de rêver.
Elle nous dit de faire des gosses
Quand la Patrie est en danger,
Elle nous désigne la piste
Des démons à exorciser
Je connais des évangélistes
Qui nomment ça la liberté.


Bien que je ne sois pas artiste
Du sort je sais m’accommoder.
Exploité, je n’étais pas triste
Car j’avais gardé ma fierté.
Mais la bonne fée Carabosse,
Qui veille à tout embrouiller,
Nous dit maintenant quand on bosse
Que l’on est des privilégiés.
Des « droits de l’homme » elle fait la liste,
Exemple : « le droit de prier »
Ou bien si tu es journaliste
Celui d’exercer ton métier.


Mais le droit de nourrir ses gosses,
Le droit simple de travailler,
Faut-il être un esprit véloce
Pour savoir que c’est le premier ?
Sans lui, fi soi des humanistes !
Sans lui où est la dignité ?
Ceux qui le nient sont des fumistes
Quand ils parlent de liberté.
J’aurais voulu être un poète,
J’aurais annoncé le Messie,
Je ne suis qu’un mauvais prophète
Pour faire pester les nantis.

P.S.

*


Je n'ai pas résisté à l'envie de vous proposer, comme un air de vacance, cette chanson « de départ en retraite » écrite pour un de mes camarades de travail – Inspirée, et sur l’air « du Gorille » de Georges Brassens - Si je me suis autorisé à porter à votre connaissance une œuvre réputée légère, c’est parce que celle-ci n’est peut-être pas aussi anodine que suppose le genre.

LA QUILLE

C’est à travers l’étroite grille
De leurs intérêts bien sentis
Que les patrons et leurs gorilles
Le droit de glander nous déni (1)
Avec impudence les compères
Disent qu’il faut travailler plus
Eux qui n’ont jamais, bonne mère,
Rien fait qu’de nous pomper le jus.
… Vive la quille !


Ceux là même qui naguère
Battaient la coulpe des « Egaux »(2)
Vantent les vertus égalitaires
Tous les pauvres au même niveau
« Qu’ils triment leur vie de galère
Puisque de ramer c’est leur sort
Quand ils cessent qu’on les enterre
La retraite c’est quand ils sont morts
»
… Vache de quille !


Voilà que le tran-tran morose
Que menait ce bel animal
S’arrête, on ne sait pourquoi, je suppose
Qu’il arrivait au terminal.
Yvon en sortant de sa loc (3)
Dit c’est aujourd’hui que j’la prends
N’parlait pas de cocher ce coq
Mais d’la retraite, ça vous surprend.
… Vive la quille


La taulière de cette ménagerie (4)
Criait éperdue « nom de nom
C’est assommant car ce pupille
N’a pas quarante annuités tout de bon
».
Quand la misère et l’indigence
Surent qu’Yvon n’était pas vieux
Plutôt qu’d’applaudir à sa chance,
Maugréèrent les envieux,
…. Contre la quille.


Qu’on abolisse l’exorbitant
Privilège de leur congénère.
Bolloré prospère et séant
Faut qu’il émarge son feudataire.
Avec l’argent de nos retraites
Il pourra offrir à Butor
L’Titanic pour qu’il se la pète
Avec les cales bourrées d’or.
… Vive la quille !


Le partage de la misère
C’est ce que d’autre ont baptisé,
Le langage a bien des mystères ;
« Nouvelles solidarités ».
Leurs coffres, leurs poches, leurs assiettes,
Regorgent à en dégobiller,
La plèbe se bat pour les miettes,
Les riches peuvent festoyer.
… Vive la quille !


Il paraît que les bonnes choses
Ont également une fin,
Les retraites comme les roses,
Que l’on court tout droit au sapin.
Grand dieu surtout pas de sarkose,
Surtout pas de trop de chagrin
S’il nous faut mourir d’overdose
Que ce soit d’amour et de vin.
… Vive la quille !
P.S.
9 novembre 2007

*

1er Juin 2010
« LIBERTUS »
(Un sonnet pour Gaza)

Ils tenaient prisonnier ton peuple sous leur joug
Ne craignant pas d’occire les « bons Samaritains »
Qui venus secourables tendre vers lui leurs mains
Défiaient leurs oukases pour briser leur verrou

Sophistes, ils gardaient la raison au cachot
La Shoah leur servait à troubler le bon sens
Mais voilà que le cœur, frère, reprend ses sens
Leur statut de victimes n’absout plus tes bourreaux.

L’histoire à nouveau tourne dans le bon sens.
Le chœur humain s’emplit d’ires, et la raison
Vole à ton secours, tiens bon Gaza ! Tiens bon !

Ils ont stoppé hier sa flottille, en vain.
Par milliers ses bateaux prendront la mer demain
Pour forcer le blocus et lever ton écrou.

Patrick SEIGNON

Ce poème a été publié par le site "Solidarité Palestine.
dans le dossier: la «Flottille de la Liberté»

*

LE QUATRAIN DU « POLITŒNOLOGUE »

« En beaux terroirs de France où le vin coule à flots,
A qui prétend n’en boire même pas une goutte,
N’accordez pas amis, ni crédit, ni écoute.
Il est menteur pour sûr, ou malade le sot. »

19 novembre 2010

*

Prière du vicaire ému

Sai..Saint Jean..euh !
Sai..Saint Paul..euhhh !
Saint II.. Saint deux,
Saint, de mes II.
Saint Jean-Paul II
Qui êtes aux cieux
Priez pour eux.
Patrick Seignon – 1er mai 2011



UN CONTE POUR L’ÉTÉ

Avant propos.

[JUSTIFIER][JUSTIFIER][JUSTIFIER][JUSTIFIER]Eh oui, c’est l’été ! Bien que l’esprit ne blettisse pas pour autant aux chaleurs d’orage, et que les préoccupations, occultées en partie par la détente, ne disparaissent nullement, on préfère, en ces temps estivaux, voir les choses avec plus de recul, plus de détachement et si possible sur un ton badin. C’est pourquoi je me propose de vous offrir, pour parler d’un sujet grave, qui me tient à cœur, un petit conte allégorique, distrayant, et pourtant ?.. Des conseillers mal intentionnés, je suppose, ont même suggéré qu’il s’agissait là d’un conte philosophique. Zadig, Candide, … Petilait, pour qui se prend-il celui-là ? L’idée ne m’avait pas le moins du monde effleuré, je laisse volontiers ce genre de prétention aux « philosophes courtois », oui, vous savez ces dandy qu’encensent une certaine presse et certains milieux intellectuels, qui grandiloquent et les comparent à Voltaire. Comparer à l’astre du siècle des lumières nos philosophes crépusculaires, vous réalisez la méprise ? Non, moi je veux rester modeste, je n’ai pas la prétention d’écrire des chefs d’œuvres lorsque je n’ai rien à dire.

14 août 2010.

PETİTLAİT

Je ne vous raconte pas d’histoires. J’ai vraiment connu un médecin ophtalmologiste qui s’appelait Mr Deloeil, un tripier qui s’appelait Foie, un policier qui s’appelait Lagarde, un curé qui s’appelait Prètre, un dentiste qui se nommait Dendelet, et même un sommelier qui avait nom Tastevin. Dans la même veine, Jean s’appelait Petitlait et il était crémier de son état.
C’était un brave type qui selon l’expression populaire « avait le cœur sur la main ». Enfin, avait, car cela ne dura pas toute sa vie. C’est précisément ce que je vais vous conter : comment, par quelles circonstances, ce garçon affable, gentil, généreux, devint un harpagon ombrageux et fourbe.
Jean Petitlait était né à la campagne et avait grandi dans un de nos jolis petits villages de France. Le plus beau selon moi, agrippé au côteau au dessus du Rhône, tout près de l’ancienne cité des papes. Son père était paysan et vivait d’une agriculture diversifiée comme elle se pratiquait presque toujours en ce temps là. Entre autres activités, il possédait une douzaine de vaches laitières dont-il vendait le lait à un crémier d’Avignon. A cette époque, pourtant pas si lointaine, Danone et ses semblables, les géants de l’agroalimentaire, ne s’étaient pas encore emparés, avec la complicité du législateur, de la totalité de la production laitière du pays. Le laitier artisanal collectait dans les fermes les bidons en aluminium de vingt litres, plein de l’onctueux breuvage, fabriquait lui-même plusieurs produits dérivés, beurre, crème, yaourts, et vendait le lait à la louche.
Le travail à la ferme était dur et le revenu que ses parents en dégageaient était modeste. Il s’amenuisait même au fil des ans. Jean souffrait de voir son père, sa mère surtout, à la peine. Il se disait, déjà tout enfant : « quand je serai grand, je serai laitier ». Le laitier, lui, était proprement vêtu, travaillait moins et tirait un plus grand profit de son travail. Son père avait quelquefois le sentiment de travailler pour le plus grand profit de ce monsieur de la ville qui lui payait le lait à vil prix et faisait son beurre sur son dos.
A l’école du village, Jean avait de nombreux copains, tous comme lui de condition modeste.
Parmi ceux-ci, cinq lui restèrent fidèles en amitié jusqu’à l’âge adulte. Il y avait Philippe Chausson, le fils du cordonnier, qui contrairement à ce que dit le dicton, n’était pas le plus mal chaussé. Il y avait Daniel Pétrin, le fils du boulanger et le frère d’Hélène, son fantasme d’enfant qui ne fut jamais sa femme. Il y avait Patrice Lagarde, le fils du gendarme, Jean-Charles Charrette, le fils du charron récemment converti à la mécanique automobile et Antoine Martelet, le fils du ferronnier et de madame Martelet, l’institutrice et directrice de l’école communale des Angles.
Le ferronnier, d’ailleurs aussi un peu dinandier, était un artiste, il faut le dire. La qualité de son travail était connue et même reconnue bien au-delà des limites du canton. Les six jeunes garçons allaient souvent le voir travailler. Le fer ou d’autres métaux semblaient lui obéir. Les transformations qu’il opérait étaient magiques, les objets ou ouvrages qu’il « modelait » étaient merveilleux. Les potaches observaient, admiratifs, les yeux écarquillés. Puis une opération finie, ils posaient des questions, et lui, bavard, n’était pas chiche en paroles, ne tarissait pas en explications ou en anecdotes. Ses auditeurs étaient conquis. N’est-ce pas ainsi que se forment les vocations ? Ceux-là ne rêvaient pas comme les autres enfants d’être pompiers, gendarmes ou « golden-boy ». Tous ou presque voulaient devenir ferronnier. Or, cette résolution de prime jeunesse ne se dissipa point comme il advient souvent, à l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Elle se confirma au contraire.
Il advint donc que les cinq copains de Jean Petitlait, à l’exception de celui-ci, acquirent tous des métiers dans la transformation des métaux. Philippe devint serrurier-ferronnier d’art, Daniel technicien supérieur métallurgiste, Patrice charpentier fer et tuyauteur et Jean-Charles dessinateur industriel en constructions métalliques. Quand à Antoine, il fut chaudronnier traceur et soudeur chevronné.
Ils étaient jeunes encore et travaillaient tous dans de petites PME locales. Seul Jean était resté à la ferme avec son frère Yves, près de leurs parents. Mais le travail était toujours aussi dur et le rapport toujours plus maigre. Il fallait vivre à présent à quatre adultes sur ce revenu. L’exploitation familiale était devenue trop petite en quelque sorte. Or Yves était sur le point de fonder une famille et Jean, amoureux à présent de Maryse, la fille de Mr Martelet le ferronnier et de sa femme la directrice d’école, retraitée, donc, la sœur d’Antoine, rêvait en secret de se marier aussi et d’avoir deux ou trois bambins. Mais il rêvait surtout toujours de quitter la ferme et de s’établir laitier. Les deux projets d’ailleurs n’allaient-ils pas de pair ?
L’aubaine avait voulu que le temps passant, Mr Chauvin, l’actuel laitier d’Avignon, qui exploitait son père depuis plus de trente ans, ait vieilli et aspire à se retirer. Il souhaitait vendre son fond, les murs de la boutique et l’appartement bourgeois établi au dessus. Il s’en était confié à Mr Petilait, le père, avec lequel il était en affaire depuis si longtemps.
L’aubaine, enfin, c’est façon de parler ! Certes Monsieur Chauvin était vendeur, mais lui, Jean Petilait n’avait même pas le premier sou pour acheter ce bien qui plus est avec le vieux fourgon Renault indispensable à la conduite de cette activité. Il voyait que cela n’avait été que rêve de jeunesse, qu’il ne le réaliserait jamais. Il se laissait submerger parfois par le désespoir et l’amertume. Il ne serait jamais prospère. Il resterait ici, vieux garçon et presque misérable, entre ses parents et, plus tard, quand ceux-ci auraient disparu, il resterait solitaire avec seulement un vieux chien teigneux pour lui lécher les mains. Il repensait à cet adage si judicieux de la chanson : « Pour faire des affaires, il faut avoir des sous, mais pour avoir des sous faut faire des affaires ». Cercle vicieux auquel il n’y avait pas d’issue, pensait-il dans ses moments de détresse.
Mais la vie est parfois bonne fille et l’amitié n’est pas toujours un vain mot. Ils se retrouvaient régulièrement entre copains, six à dix fois l’an, pour manger ensemble et « déconner » comme au bon vieux temps. Un samedi soir où ils s’étaient ainsi réunis à Avignon, chez Rabinel, une petite pizzeria près des remparts, le sujet qui le préoccupait le plus, vint à la discussion.
- Tu as vu Jean que Chauvin veut vendre sa boutique pour prendre sa retraite ? Commença Philippe.
- J’ai vu. Répondit brièvement Jean, un peu gêné et qui eut voulu finir là le sujet.
- Alors, c’est le moment, depuis que tu en parles, tu achètes le fond ! Surenchérit Jean-Charles.
- Non ! Répliqua-t-il un peu sèchement et cherchant à éviter les regards de ses amis.
- Comment non ? Interrogea Daniel circonspect. Tu en rêves depuis l’enfance, nous ne nous sommes pas rencontrés une seule fois ces dernières années sans que tu abordes le sujet et quand l’occasion s’ouvre enfin à toi, tu te débines.
- Je ne me débine pas, avoua Jean, chagrin de devoir faire part de son indigence, mais je ne peux pas. Je n’ai pas l’argent pour ça.
- Toi, le « gentleman-farmer » ironisa Patrice le plus sarcastique des six, tu n’as pas un petit magot caché dans le manteau de la cheminée ?
- Il y a des banques pour çà, asséna Antoine.
- Eh bien non, répondit Jean en esquissant un léger sourire, je n’ai pas de magot caché et mes économies sont insuffisantes pour constituer même l’apport nécessaire, aucune banque ne prête dans ces conditions.
- Alors ça, merde ! Tu ne vas tout de même pas rater l’affaire de ta vie, se lamenta Antoine. Tu n’auras pas ma sœur si tu te plantes ! Ajouta-t-il en riant franchement.
- Comment veux-tu que je fasse ?
- Je ne sais pas moi, vends une partie des terres de la ferme, hypothèque la maison.
- Je ne peux pas, ces biens sont à mon père et doivent revenir à mon frère aussi lorsque celui-ci partira.
- Certes, conclut Antoine vaincu.
- Mais on te croyait riche, nous, relança Daniel, tu as quoi, cinquante hectares, un corps de ferme imposant avec de nombreuses dépendances, au moins trois tracteurs et une moissonneuse batteuse.
- Nous possédons trente hectares en propre, consentit à préciser Jean, nous en exploitons un peu plus de soixante en tout, c'est-à-dire que nous en louons trente quatre je crois.
- Et avec çà, vous ne gagnez pas suffisamment d’argent pour faire des économies ? Interrogea Philippe sur un ton de réprimande.
- Tu sais, de nombreux agriculteurs cessent leur activité aujourd’hui. Un grand nombre d’exploitations agricoles disparaissent. Certes, terres, bâtiments, matériel, cheptel, nous paraissons cossus, nous sommes nos propres patrons, en apparence, en vérité, nous ne sommes que les métayers du Crédit Agricole, les obligés des semenciers, les serfs des négociants.
- Des laitiers aussi, ironisa encore Patrice.
- Des laitiers, confirma-t-il.
- Ça alors, tu vois, çà me déglingue, reprit Antoine, qu’un copain ne puisse pas réaliser le projet qui lui tenait le plus à cœur pour une simple histoire de fric.
- Et que ta sœur risque d’épouser un traîne savate, plaisanta Patrice.
- Et tu tombes d’où, toi l’utopiste rêveur ? C’est en ces termes que Jean-Charles apostropha Antoine. On dirait que tu découvres là que le fric a pris les commandes du monde ?
- Je sais bien, mais ce n’est pas une raison pour que je me résigne.
- Avec la gueule, tu ne te résignes pas, tu jappes et tu protestes, mais dans les faits comme nous tous, tu te plies aux exigences du monde tel qu’il est.
- Humm ! grommela Jean-Charles, vaincu pour un temps.
- Tu dis, Jean-Charles, que le fric a pris les commandes du monde, c’est en partie vrai, mais pas complètement. Il y a l’amour tout de même, le cul et la génération, tu ne me diras pas que çà n’est pas un des moteurs du monde ? Et l’amitié ? On ne pourrait pas vivre sans amis, l’existence ne vaudrait pas le coup d’être vécue sans cela, avisa Patrice qui, pour une fois, consentait à se départir de son ironie coutumière.
- L’amitié, sais-tu ce que c’est que l’amitié, rebondit Daniel qui était l’idéologue de la bande. C’est la manifestation symptomatique dans les relations sociales d’aujourd’hui, de l’aspiration du genre humain au communisme.
Tous se regardèrent, ahuris.
- Explique-toi ! Sollicita Philippe.
- L’amitié, c’est l’expression de l’estime réciproque entre les individus, la reconnaissance de la valeur d’autrui, de ses qualités, la manifestation irrésistible de l’amativité propre au genre humain….
- Je t’en prie, parle simplement, l’interrompit Patrice, l’amativité, c’est quoi çà ?
- C’est l’attirance des êtres les uns pour les autres, l’amitié en découle, elle ne se fonde ni sur des rapports d’argent, ni sur des rapports hiérarchiques
- Oui, mais l’argent et le cul ont tôt fait de gâcher ce beau sentiment si prometteur d’avenir et de le réduire à néant, voire en ses contraires, la cupidité et la haine.
- Certes, poursuivit Daniel, tant que subsistent les rapports sociaux actuels fondés sur la propriété et le mercantilisme, l’amitié ne restera que ce que j’en ai dit en commençant, un simple symptôme. Mais lorsque la propriété privée des moyens de production sera abolie, elle prendra les commandes du monde à la place du fric. L’humanité toute entière sera une grande famille solidaire.
- Arrête ton char « Rougechrist », çà n’est rien moins que le dogme de la fraternité chrétienne que tu nous revisites là, s’esclaffa enfin Patrice. Et la fraternité chrétienne, depuis plus de deux mille ans, on a vu ce que ça donnait. C’est fou le nombre de millions de frères chrétiens qui se sont entr’égorgés.
- Et ce qui n’a pas marché depuis deux mille ans sous le nom de fraternité, il n’y a pas lieu de croire que çà puisse fonctionner demain, au seul fait que tu le rebaptises amitié, tenta de finir Philippe. Mais Daniel, thèse et antithèse, tenait à rester maître de la synthèse.
- Ce qui est déterminant, enchaina-t-il, ce sont les rapports sociaux. Le message de la fraternité chrétienne n’avait aucune chance d’être autre chose que ce qu’il fut, paroles creuses et vœux pieux, dans le contexte des sociétés esclavagistes de l’antiquité ou des sociétés féodales puis capitalistes qui lui ont succédé. Mais avec la transformation des rapports sociaux que doit apporter la propriété collective des moyens de production, ce sont les fondements même de la fraternité et donc de l’amitié humaine qui seront jetés. Je vous le concède, c’est un paradoxe étonnant, c’est au communisme, que les églises ont tant combattu, qu’il reviendra de réaliser demain l’avènement planétaire de « la fraternité chrétienne ».
Comme un recueillement, quelques instants de silence succédèrent à la l’envolée sentencieuse de Daniel. Rabinel qui venait leur demander s’ils voulaient un dessert, interrompit leurs réflexions.
- Alors, les garçons, leur dit-il, vous voulez faire de mon établissement une pizzeria philosophique ?
Cela provoqua leur hilarité.
- Non pas, dit Daniel, nous n’avons pas cette prétention tout de même.
- D’ailleurs, repris Antoine, moi j’ai toujours préféré les actes, même petits, aux grandes déclarations sans lendemain. Tiens, j’ai quelques économies dont je n’ai pas besoin actuellement, je les prête à Jean, il me les rendra quand il pourra. Est-ce que d’autres peuvent faire de même ? Peut-être de la sorte, aura-t-il un apport suffisant pour réaliser son affaire !
- Voilà qui est bien dit, acquiesça Daniel, lequel craignait toujours d’être relégué par ses amis dans le camp de ces discoureurs réputés pour le décalage entre leurs paroles et leurs actes, on peut très bien allier les deux, j’ai quelques économies aussi, je les verse dans le pot.
- Je n’ai qu’un tout petit pécule, mais j’en fait autant, ajouta Jean-Charles
- Et moi bien sûr de même, poursuivit Patrice.
- Moi, aussi, bien entendu, termina Philippe. Mais combien a-t-on chacun à offrir, cela sera-t-il suffisant ? Faisons les comptes.
Jean, lui, était resté muet jusque là, circonspect, comme tétanisé, gêné par la sollicitude de ses amis.
- Mais je ne suis pas d’accord moi, s’exclama-t-il enfin. Vous allez bien me demander mon avis tout de même. Certes vous êtes généreux, et ce mouvement part d’un bon sentiment. Je suis ému et je vous remercie pour les preuves d’amitié que vous me donnez là et de la confiance que vous me faites. Mais je dois refuser votre offre. Je ne veux pas devoir de l’argent à mes amis. J’aurais trop peur que cela, pour une raison ou l’autre, gâche notre amitié.
- Et pourquoi cela gâcherait-il notre amitié ? Nous ne voulons aucun intérêt et n’exigerons aucun délai de remboursement, précisa Antoine.
Les autres opinèrent de la tête.
- Nous savons tous que l’affaire du père Chauvin tourne rondement, que tu n’auras aucune peine à la rentabiliser. Nous ne nous faisons aucun souci pour nos économies, bien certains que tu t’acquitteras de ta dette.
- On ne sait jamais dans la vie, enchaina Jean avec son bon sens paysan. Supposez que l’un de vous soit confronté dans six mois ou un an, à un problème de santé par exemple, qu’il souhaite recouvrer sa créance, et que je ne sois pas moi-même à cette date, en mesure de le rembourser, cela ne pourrait-il pas être une cause sérieuse de fâcherie ?
- Ce serait méjuger de notre amitié, de croire que l’un d’entre nous puisse être indélicat au point de te mettre dans l’embarras de la sorte, insista Philippe.
- Tu dois accepter notre offre, c’est ta chance Jean Petitlait. Elle ne se représentera pas, affirma Patrice.
- Il a raison ! Dirent-ils tous du même élan.
- Si c’est ainsi, constata Jean, je me soumets et vous remercie.
- Bon, alors faisons les comptes, renouvela Philippe.
C’est ainsi, grâce à l’aide de ses amis si chers, que Jean Petitlait put obtenir le prêt d’une banque et se porter acquéreur de l’affaire du père Chauvin.
*
Jean Petitlait était un garçon solide, réfléchi et travailleur. Il ne tarda guère, en effet, à faire prospérer son affaire bien au delà de ce que son prédécesseur avait fait. D’autant que nous étions dans la décennie 1950 et que la consommation de produits laitiers était encouragé par le gouvernement (*). C’est dans ces années là que la consommation de yaourts devint à la mode, explosa carrément. Avec le flair déjà exercé d’un véritable capitaine d’industrie, Jean Petilait sut s’inscrire instantanément dans le sens du vent et tirer le meilleur parti de cette opportunité. Il créa une unité de production de ces petits délices lactés, tant prisés à présent. Très vite, plusieurs camions à sa raison sociale « les yaourts Petitlait » sillonnèrent tout le grand sud de la France pour distribuer ses produits aux revendeurs, épiceries et supérettes. En ce temps là, il jouait sur un pied d’égalité avec Danone, Gervais ou Jabenoit. Dans un tel contexte si favorable à ses affaires, il n’avait eu aucune difficulté à éponger rapidement toutes les dettes qu’il avait contractées pour créer son entreprise, aussi bien l’avance que lui avaient faite ses copains que le premier emprunt bancaire sans lesquels il n’eut pu démarrer. Il n’est pas exagéré de dire, qu’avec l’activité yaourts, il accéda même à une véritable prospérité. Il avait épousé Maryse, comme convenu, voilà six ans de cela et ils avaient ensemble déjà trois gosses, deux filles et un garçon de 5, 3 et 1 an. Il commençait à aimer étaler son opulence de façon ostentatoire. Il acheta une vaste pinède sur la commune des Angles et s’y fit construire une villa cossue, avec piscine et « green » à l’anglaise sous les pins, ce qui est un paradoxe de luxe et fit entièrement ceindre sa propriété, cinq hectares, de murs de pierres hauts de deux mètres vingt. Huit ans ne s’étaient pas passés, depuis l’acquisition de la boutique du père Chauvin, il possédait maintenant une voiture de maître avec chauffeur, fumait les meilleurs havanes et ne consommait comme vin de table que du « Château La Tour ».
L’ascension économique fulgurante de Jean Petitlait devint bientôt la partition favorite des trompettes de la renommée. Dans un style ou dans l’autre, le « populaire » en faisait des gorges chaudes. Sa réussite provoquait tantôt l’admiration, tantôt l’étonnement, tantôt des louanges, tantôt des sarcasmes. Les mauvaises langues et les persiffleurs, certains prétendent que la jalousie est leur inspiratrice, firent courir la rumeur qu’il fabriquait ses yaourts avec du petit lait et de la farine et que c’est ainsi qu’il faisait son beurre. D’autres, plus méchants que bêtes, dirent que Petitlait n’était pas véritablement son nom, qu’il en avait fait modifier l’orthographe à des fins commerciales, que son véritable nom était Petit-Laid et que cela lui correspondait d’ailleurs fort bien. C’est ainsi que l’indigence et la convoitise se vengent dit-on de l’opulence qui les accable. Jean Petitlait n’en avait cure. Il était tellement certain pour sa part d’avoir gagné sa réussite à la force du poignet, de « s’être fait lui-même » sans l’aide de personne. Il aimait à se répéter ce dicton réconfortant à qui à décider de se passer du jugement d’autrui, et qu’affectionnait tant son père : « Les chiens aboient, la caravane passe. ». Les « pécores » et les « Jacques la sueur » étaient jaloux, cela accroissait encore sa morgue sociale, le sentiment de sa réussite n’en était que plus grand et hypertrophiait son égo. C’est ainsi qu’il prenait vraiment conscience d’avoir accédé à cet autre monde dont il avait rêvé. Il regardait à présent avec condescendance les « laborieux » qui étaient incapables de découvrir comme il l’avait fait, le chemin de la réussite.
Ses copains « les ferreux » comme il les appelait, il ne les avait guère vus depuis cinq ans au moins. Ceux-ci qui s’étaient tous mariés depuis, avaient recherché des emplois plus lucratifs dans des entreprises plus solides, leur ouvrant l’espoir d’une certaine progression sociale. C’est ainsi que Philippe était parti travailler chez Vallourec à Montbard en Côte d’Or, le pays de naissance de Buffon. Daniel avait été engagé aux aciéries d’Hagondange. Patrice, après une année aux chantiers navals de la Ciotat, ville où fut tourné le premier film de l’histoire du cinéma, avait rejoint ceux du Havre où il était devenu contremaître. Jean-Charles devenu cadre dans un bureau d’étude d"Alsthom . Quand à Antoine, il faisait de nombreux déplacements à l’étranger, Venezuela, Azerbaïdjan, Géorgie, Irak, etc. où il construisait des oléoducs, car il avait acquis, entre autre compétences, celle de « soudeur agréé pétrole ». C’est ainsi que la vie distend les liens. Mais au mal de l’éloignement et du temps qui passe elle propose pourtant un antidote : la nostalgie.
C’est pourquoi un jour, rentrant d’une campagne de six mois en Iran, Antoine fut prit de l’envie tenace de revoir ses amis, chez Rabinel, comme au bon vieux temps. Mais celui-ci avait fermé boutique. On lui rapporta qu’avec l’important pécule que lui avait gagné sa pizzeria, il avait acquis « un restaurant » dans un centre commercial français à Dallas, aux USA. Avec ses déplacements à l’étranger, Antoine gagnait beaucoup d’argent, il était « plein aux as » et le flambait quand il rentrait en métropole. A défaut de « Rabinel », il invita ses amis, c’est lui qui payait, à « la vieille fontaine », le restaurant de l’hôtel d’Europe, l’ancienne demeure du marquis de Graveson, dans les remparts d’Avignon, tout près du Rhône. A sa grande surprise, il dut insister beaucoup pour que Jean daigne se joindre à eux. L’idée l’effleura que celui-ci, devenu riche et conscient d’avoir changé de statut, ne ressentait aucun empressement à revoir ses copains. Il ne se sentait peut-être plus de leur monde. Mais face à l’insistance d’Antoine, son beau frère au demeurant, il accepta enfin l’invitation, et celui-ci, tout à la joie de revoir tous ses « potes » oublia vite le trouble que lui avaient inspiré ces hésitations.
On avait changé de cadre. Les jeunes gens d’hier étaient devenus des hommes, leurs goûts, leurs centres d’intérêts avaient changé. L’ambiance délurée de la « Pizzeria chez Rabinel » et le petit rosé frais au pichet appartenaient aux célébrations du passé. Il leur fallait à présent une table plus raffinée, des vins et des mets plus élaborés. L’ambiance était ici plus feutrée et les discussions plus policées. Dans leurs tenues et dans leurs postures, il était manifeste qu’un fossé s’était déjà nettement creusé entre « les ferreux » et l’industriel laitier. Eux étaient vêtus de jeans et de chemises ouvertes, lui en costume trois pièces en alpaga et cravate, fumait ses havanes préférés sans songer à en offrir à ses amis.
Antoine qui « régalait » était heureux. C’était son plaisir à lui de claquer ainsi son fric. Jean tout de même leur offrit le champagne en fin de repas, pour les remercier dit-il, de la marque d’amitié qu’ils lui avaient donnée voilà huit ans de çà. Petitlait qui avait honoré sa dette sans problème, n’avait pas, il est vrai, jusque là, songé à remercier ses précieux amis, de quelque façon que ce soit, aucun d’eux n’avait même été invité dans sa demeure de luxe dans les pins.
En fin de repas, la conversation prit un tour plus détendu. La réussite de Jean Petilait y eut une bonne part, bien sûr.
- Nous pourrions très bien « réussir » nous aussi si nous le voulions, lança à la cantonade, Antoine, le rêveur de la bande.
- Et si l’on créait ensemble notre propre entreprise, suggéra alors Daniel à l’adresse des « ferreux ». En faisant écho au propos sans conséquence d’Antoine, il lui donnait une tournure sérieuse.
- Une entreprise de quoi ? Interrogea Philippe.
- Constructions métalliques … Chantiers navals, pourquoi pas, proposa Daniel.
- Et avec quel argent assena Patrice, le plaisant, pour lequel cette conversation n’était qu’une plaisanterie de mauvais goût et qu’il pensait finir en en révélant l’impossibilité.
Il était vrai que tous travaillaient et gagnaient correctement leur vie. Mais ils avaient tous à présent des familles à entretenir, quatre sur cinq s’étaient endettés pour acquérir une maison, et aucun d’eux n’avait plus d’économies comme au bon vieux temps de leur jeunesse. Or, la création d’une entreprise métallurgique nécessite des investissements importants.
- J’en ai de l’argent moi ! J’investis dans votre affaire, autant que vous voulez, relança Jean Petitlait fier de pouvoir ainsi étaler sa réussite et faire valoir la puissance sociale que celle-ci lui conférait.
Comme ils lui avaient fait une semblable amitié il y a huit ans, ils pensèrent tous qu’il voulait de la sorte leur renvoyer l’ascenseur, c’est pourquoi ils ne se formalisèrent guère, émerveillés plutôt de ce que la boutade de Daniel se fut transformée ainsi en un projet viable. Leur discussion reprit à cet instant un tour fort sérieux. Ils définirent le caractère de l’entreprise qu’ils créeraient ensemble. Bien qu’avec un statut d’entreprise capitaliste, ce serait une sorte de « coopérative ouvrière » dont ils seraient tous les cinq à la fois les patrons et les compagnons. En dehors d’eux, et à l’exception d’un comptable et d’une secrétaire, ils n’embaucheraient aucun ouvrier de production. C’est Daniel surtout qui tenait à cela pour des raisons d’éthique qui lui appartenaient. Il ne voulait pas devenir un « exploiteur ». Jean serait donc leur investisseur et leur trésorier, tout le temps nécessaire à ce qu’ils aient acquis leur autonomie financière.
*
Les C.N.R.M., « Chantiers Navals du Rhône et de la Méditerranée » s’établirent à Cap d’Agde. Les cinq copains qui réunissaient ensemble toutes les compétences nécessaires, se mirent au travail avec ardeur. Ils ne comptaient ni leur temps ni leur peine. Travailler plus pour gagner plus, tel était le principe qu’ils appliquaient sans que personne ne le leur ait soufflé. Daniel lui-même, le contestataire approuvait. Ce principe, tellement idiot lorsqu’il s’agit en vérité d’enrichir un tiers, tellement cynique quand il s’agit d’exploiter des salariés trop naïfs, mais qui peut s’avérer justifié dès lors que l’on travaille pour soi, pour sa propre prospérité. Ils construisaient des petites unités en acier, des chalutiers pour les pécheurs, des yachts pour de riches bourgeois de la côte de Perpignan à Menton, des bateaux de passagers pour les petites compagnies de promenades touristiques du château d’If, des îles d’Oléron ou d’ailleurs. Leur sérieux, leur savoir faire, le respect des délais, l’équilibre de leurs prix, la qualité de leurs réalisations, leur avaient assuré rapidement une solide réputation sur toute la côte méditerranéenne française. Durant les sept années qui venaient de s’écouler, ils avaient déjà construit une trentaine de navires, soit quatre par an et même cinq les deux derniers exercices. Leurs carnets de commande ne désemplissaient pas. Ils ne pouvaient pas faire d’avantage sauf à embaucher pour augmenter leur capacité de production. Mais Daniel restait opposé à cette option. Ils n’eurent toutefois pas de peine à rembourser le capital assez conséquent que Jean avait investi dans leur affaire et à s’acquitter des avances de trésorerie qu’il dut faire à plusieurs reprises, car dans ce genre d’affaire, le recouvrement des créances est parfois difficile. Terrain, locaux, gros et petits matériels, l’investissement de départ était important, même lourd. Aussi leur fallut-il sept années de travail acharné en ne se servant à chacun qu’un maigre salaire, pour éponger leur dette, capital et intérêts. Car contrairement à l’avance sans intérêt qu’ils avaient faite à un ami il y a longtemps de çà, celle que Jean Petitlait leur avait consentie était assortie d’intérêts à 5 % en taux annuel brut. Mais il faut comprendre que les sommes concernées dans l’un et l’autre cas, étaient d’échelles tellement différentes qu’ils ne trouvèrent rien à redire à cette disposition de leur arrangement privé.
Ils avaient enfin tout remboursé, ils étaient quittes. L’endettement est source d’angoisse permanente pour les honnêtes gens. C’était pour eux un grand soulagement et un bonheur immense de se savoir libérés de cette hypothèque. Ils étaient enfin véritablement et totalement, seuls, propriétaires de leur entreprise. Ils voulaient marquer l’évènement d’une croix blanche. Faire partager leur joie. Ils convinrent d’organiser une jolie réception dans leurs murs, à laquelle officierait le meilleur traiteur de Sète. Bien entendu, Jean Petitlait, sans qui, rien de leur aventure industrielle n’aurait été possible, devait immanquablement être leur invité d’honneur, ils y inviteraient aussi leurs amis, leurs fournisseurs et quelques uns de leurs meilleurs clients. La fête eut lieu. Ils furent tous surpris et forts déçus de l’absence de Jean Petilait. Ils conçurent qu’il avait du avoir un empêchement considérable pour manquer à cet évènement qui leur tenait tant à cœur. Ils s’enquirent dès le lendemain de la raison qui avait retenu leur vieux copain, mais n’en purent rien savoir. Ils n’obtinrent aucune excuse ni explication vraiment édifiante.
Le trimestre qui venait de s’écouler était le premier au terme duquel ils n’avaient plus de remboursement à effectuer. Ils en profitèrent pour augmenter un peu leurs propres salaires au trimestre suivant. Mais le premier mois de celui-ci était à peine terminé, qu’ils reçurent un courrier à l’en-tête de Maître Piègeman, avocat à la cour, spécialiste de droit commercial et de droit des affaires, connu du grand public pour le zèle qu’il mettait à défendre ses riches clients. Qu’est-ce donc que cela s’interrogèrent-ils ?
Maitre Piègeman intervenait en délégation de Jean Petitlait et leur réclamait le paiement trimestriel des bénéfices dont ils ne s’étaient pas acquittés. A la lecture de ce courrier leur stupéfaction fut à la mesure de leur incompréhension. Bénéfices ! Que voulait-il dire ? Certes, ils avaient depuis sept ans effectué des versements en remboursement du capital et des intérêts convenus, mais il n’avait jamais été question de bénéfices. Servis leurs maigres salaires et le remboursement de leur dette, ils n’avaient d’ailleurs jusqu’ici dégagé aucun bénéfice. Au demeurant, la dette était à présent épongée et la somme des intérêts cumulés qu’ils avaient payée à leur ami était tout à fait conséquente. Il ne lui devait plus rien et Jean ne pouvait prétendre à aucune part des bénéfices. Ils l’appelèrent à son bureau. La secrétaire leur dit qu’il était absent, en voyage d’affaire, que le mieux était qu’ils s’adressent à Maitre Piègeman puisque celui-ci était chargé de l’affaire.
- L’affaire ?
Ils se regardèrent, à présent inquiets, se résolurent à appeler le cabinet d’avocat.
Maître Piègeman prit la communication. Leur expliqua que Monsieur Petitlait avait investi un capital considérable dans la création des « Chantiers Navals du Rhône et de la Méditerranée », qu’eux-mêmes lui avaient réglé, jusqu’au trimestre passé, les bénéfices qui sont dus à l’investisseur, et que ceux-ci, n’ayant pas été acquittés ce dernier trimestre, il en demandait la raison et en souhaitait le règlement comme de droit.
« Les ferreux » ne comprenaient rien à cet embrouillamini.
- Nous avons remboursé tout ce que nous devions à Monsieur Petitlait, intérêts compris. Que lui devons-nous encore à part des remerciements pour son aide et peut-être d’autres manifestations de notre amitié ?
La discussion semblait tourner court. Selon Maitre Piègeman, elle s’engluait dans le quiproquo.
- Le mieux suggéra l’avocat, serait que je vous rencontre.
Il fut convenu d’une réunion le jeudi soir suivant au restaurant « Le Lisita », de Nîmes sis face aux arênes. L’ambiance du repas, c’était l’idée des protagonistes, imprimerait à la discussion serrée qu’ils présageaient, une tournure plus amicale.
- Monsieur Petitlait sera des nôtres ? Ça s’impose ! dit Daniel
- Je lui ferai part de votre souhait, dit Maitre Piègeman, s’il est disponible, il viendra sûrement.
Maitre Piègeman vint seul au rendez-vous, Petitlait ne faisait pas partie de l’équipage. Les copains associés s’en émurent.
- J’ai tous pouvoirs de Monsieur Petitlait, pour discuter avec vous, assura le Conseil. Le repas était fort bon, mais ils avaient bien du mal à l’apprécier tout à fait. Maître Piègeman leur expliqua, ce qu’il avait déjà fait en des termes à peu près similaires : lors de la création des « Chantiers Navals du Rhône et de la Méditerranée », Monsieur Petitlait avait été l’investisseur exclusif, eux-mêmes n’avaient fait alors aucun investissement. Certes, par la suite, les moyens de travail réunis, ils avaient apporté leurs efforts, leur savoir faire technique, leur enthousiasme ! Mais aucun capital. Qu’en conséquence, Monsieur Petitlait était le propriétaire légitime des chantiers navals, et qu’ils lui étaient, en toute logique, redevables des bénéfices de son entreprise, du produit de son capital.
- Propriétaire des « CNMR » Monsieur Petitlait ? Ils n’en démordaient pas, il nous a prêté de l’argent. Nous l’avons remboursé avec des intérêts substantiels, nous ne lui devons plus rien, nous sommes les seuls propriétaires de NOTRE entreprise !
- Ce n’est pas comme çà que ça marche ! Interrompit l’avocat d’affaires. L’argent que Monsieur Petitlait a investi il y a sept ans a un nom : CAPITAL ! Et vous êtes redevables envers lui du produit de son capital.
- Non ! intervint Daniel sur un ton cinglant, ce « produit », c’est le produit de notre travail
- Capital ? Capital ? Ce n’est que de l’argent ! Enchaîna sèchement Philippe
- Un « Capital » Monsieur.
- Pour acheter ma maison, j’ai fait un emprunt que j’ai remboursé avec des intérêts. Quand j’ai fini de le rembourser, la banque ne m’a pas dit que ma maison lui appartenait !
- Il s’agissait de l’acquisition d’un bien personnel. Vous faites l’erreur qu’on vous a appris à ne pas faire, dès l’école primaire : vous additionnez les choux avec les navets ; vous mélangez les catégories.
- De l’argent, vous dis-je. Une somme d’argent pour acheter une maison ou une affaire, çà n’est toujours qu’une somme d’argent. Quelle différence y voyez-vous ?
- L’argent investi dans une affaire est un Capital, c'est-à-dire que l’investisseur en reste le propriétaire en droit
Le ton s’envenimait. Ne convenait-il pas de faire redescendre sur terre les doux rêveurs ?
A cette fin, Maître Piègeman qui ne mâchait pas ses mots lorsqu’il s’agissait de justifier les privilèges de l’argent, se résolut à être tout à fait clair. Il devait dire les choses crûment et sans détour. Il devait arracher les voiles qui masquent la réalité des relations humaine afin de faire apparaître la vérité sociale toute nue.
- C’est la raison pour laquelle, Messieurs, comme vous l’avez vous-mêmes constaté, les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus démunis. C’est la raison pour laquelle, yoyos de la Bourse aidant, les petits épargnants se font régulièrement dépouiller de leurs économies par les gros. Le système n’est pas nouveau. Ce sont les mécanismes de l’accumulation capitaliste. Croyez-vous que les investissements originels que firent les fondateurs de la dynastie De Wendel, et d’autres, tous les autres, n’ont pas été remboursés déjà plus de mille fois par le travail des générations d’employés qui ont œuvré à leur profit ? De cela vous en convenez, j’en suis sûr, volontiers. Il ne vous viendrait même pas à l’idée pourtant d’en contester la légitimité, de contester leurs droits de propriété sur leurs empires industriels.
- Je la conteste moi ! Intervint Daniel en colère.
- Pourtant, ils restent propriétaires de leur capital, poursuivit Maître Piègeman imperturbable, mieux, ou pire si cela vous agrée, celui-ci n’a cessé de croître car il leur a donné le droit de s’approprier toute la richesse produite par ces générations d’employés. Loin de s’émanciper en remboursant son avance à leur capitaliste, ces travailleurs n’ont fait qu’augmenter la puissance de leur bailleur, donc, leur dépendance à l’égard du bon vouloir « des maîtres ». Ils ont accru leur servitude.
Alors, Patrice qui gardait le silence depuis un moment, n’y tenant plus, sortit tout à coup de sa réserve pour exprimer sa colère et son dégoût.
- C’est du vol ! S’exclama-t-il en frappant du poing sur la table.
- Non, monsieur Lagarde, répondit calmement le « bavard », l’avisant droit dans les yeux, çà n’est pas du vol, c’est de l’accaparement.
- Et quelle différence y voyez-vous, je vous prie ?
- Le vol est un crime monsieur Lagarde, un acte antisocial et hors la loi. L’accaparement capitaliste est au contraire tout à fait légal, il est même encadré et protégé par la loi. Il n’est pas « antisocial » lui, mais au contraire, le fondement même de nos sociétés occidentales. L’accaparement est en quelque sorte la respiration ou si vous préférez, « l’essence » du capitalisme.
« Les ferreux » abasourdis sentaient bien pourtant qu’il y avait un fond de vérité et même d’avantage dans les propos du Conseil de Petitlait. Ils étaient surtout sidérés par tant d’abjection, par cette audace sans scrupule à dévoiler et à leur jeter à la face des mécanismes secrets habituellement si bien et si jalousement gardés. Le cynisme de leur interlocuteur les glaçait d’effroi. Ils restaient à présent, cois, silencieux, les poings serrés, le regard dans le vague, la rage au cœur. Comme aucun d’eux ne répliquait plus, Maître Piégeman s’enquit de poursuivre en adoptant le ton docte du vainqueur :
- Le « capital », mes enfants, Maître Piègeman approchait la soixantaine et aucun des ferreux n’avait plus de quarante ans, est, pour le dire de façon tout-à-fait concise, une sorte de prêt que l’on ne finit jamais de rembourser, car il ouvre le droit au bailleur de s’approprier, sans limite de temps, toute la richesse produite par ses obligés.
- Ce sont les chaînes de la servitude dont le capitalisme accable la société toute entière, ponctua Daniel.
Un silence pesant succéda à cet aparté et se prolongea un long moment. C’est Jean-Charles qui le rompit enfin :
- Alors, allez au but, où voulez-vous en venir ?
- Monsieur Petitlait est votre ami
L’ignoble personnage, pensèrent-ils, à ces mots de l’avocat, ils durent se racler la gorge, ils avaient tous grand mal à déglutir.
- Nous commençons pour le moins à en douter, marmonna Philippe.
- Oui, votre ami, répéta l’homme de robe obséquieux. C’est pourquoi il souhaite vous proposer un arrangement amical.
- On vous écoute, dit Patrice narquois.
- Monsieur Petitlait veut que vous reconnaissiez son droit de propriété sur les « Chantiers Navals du Rhône et de la Méditerranée ». En échange de quoi, il consent à vous revendre 20 % des parts de la société afin que vous restiez ses associés.
- Bien sûr, il veut bien nous exproprier, mais il a besoin de nous, que ferait-il de chantiers navals sans les détenteurs du savoir faire ? Releva Patrice.
- 20 % chacun ? Interrogea Antoine qui faisait semblant de n’avoir pas bien compris.
- Allons Monsieur Martelet, restons sérieux ! 20 fois 5 cela ferait 100, vous concevez bien qu’il ne peut s’agir de cela. Monsieur Petitlait entend rester majoritaire dans le capital de l’entreprise. Il veut bien vous céder 20 % des parts à vous cinq que vous répartirez entre vous de la façon qui vous agrée.
- Maître, je vous prie, un peu de retenue tout de même. Vous nous proposez de nous exproprier de l’affaire que nous avons créée et fait prospérer ensemble, et non pas de nous céder une part très minoritaire du butin qui nous a été dérobé, mais de nous la revendre, et c’est VOUS qui osez suggérer que notre ami Martelet n’est pas sérieux ?
- Nous discutons affaire, rétorqua l’avocat, cette fois touché au vif, ce que révéla un petit rictus qui anima son visage ; évitons les discours idéologiques, ils ne mènent à rien. Monsieur Petitlait exigera..
- Voilà qu’il exige déjà, il se prend pour le maître. Mais çà n’est pas encore joué. On ne va pas se laisser faire, vociféra Patrice qui se révélait, en l’occurrence, le plus émotif des cinq.
- EXIGERA de plus que vous en finissiez avec vos illusions « collectivistes », que les chantiers navals abandonnent leur statut de « coopérative » pour celui de société anonyme et qu’ils soient « managés » comme une véritable entreprise capitaliste moderne, qu’ils puissent ainsi employer des salariés et déployer ses activités.
- Si ce devait-être, je quitterais sur le champ notre équipe, protesta Daniel. Je souhaite vivre bien, de mon travail, pas de l’exploitation du travail d’autrui.
- Reprenons Maître, proposa Antoine, Monsieur Petitlait nous propose donc un arrangement « amical » : nous plumer sans que l’on proteste. Et si on est pas d’accord, si nous refusons ce marché de dupes, que se passe-t-il selon son scénario ?
- Alors, en pareil cas bien sûr, Monsieur Petitlait se verra contraint de faire abstraction de la longue amitié qui vous unit à lui et d’ester en justice.
- Ester ?
- Vous faire un procès afin de recouvrer ses droits.
- Ah le salop ! Bien qu’il y aille, il n’a aucune chance de gagner ! S’esclaffa Daniel à présent excédé.
- Il les a toutes, au contraire, répliqua calmement Maître Piègeman. Oubliez-vous que nous vivons dans un système d’économie capitaliste et que les lois sont donc faites pour protéger le capital ? Mais soyons clair, si nous sommes contraints de saisir les tribunaux, il ne sera plus question de vous céder une quelconque fraction du capital.
La rage s’emparait d’eux. Philippe souffla un grand coup pour évacuer son stress, s’appliqua à respirer à fond, lentement, plusieurs fois, pour réguler son rythme cardiaque.
- Il ne sert à rien, je vois bien, de poursuivre cette conversation aujourd’hui. Nous vous demandons un délai d’une semaine pour réfléchir. Nous ne présageons en rien, à l’heure actuelle, ce que sera notre ligne de conduite : relever le gant devant les tribunaux, accepter « l’arrangement » ignoble que propose Petitlait, ou tenter d’en négocier un autre, plus équilibré, après tout, la majorité dans le capital, çà n’est pas à 80 mais à 51 %. Nous vous dirons, au terme de cette semaine, l’option que nous avons choisie. Est-ce que cela vous convient ?
- Cela nous ira, acquiesça Maître Piègeman, Monsieur Petitlait ne souhaite pas en effet vous mettre le couteau sous la gorge. Encore une fois l’avocat eut mieux fait de se taire.
- C’est ce qu’on a vu en effet, marmonna rageusement Jean-Charles.
Ils étaient sur le point de se faire spolier par « leur ami », dont ils étaient à l’origine de la fortune. Ils risquaient d’être dépouillés du résultat commun de sept années de travail acharné. Pourtant, ce qui paraissait les peiner le plus, çà n’était même pas la trahison de Jean Petitlait, mais toute cette impudence et ce cynisme affiché. Daniel pensait tristement, par devers lui, qu’ils s’étaient conduits comme des agneaux en voulant jouer dans le bois aux loups. Notre mésaventure, se disait-il, n’est assurément que le salaire de notre trop grande naïveté. Auto-flagellation : ne sont-ce pas les proies qui font les prédateurs ?
Epilogue.
Je finis là l’histoire de Jean Petitlait. Point n’est besoin d’en conter la suite, les disputes, les démêlés juridiques, l’amertume de chacun des protagonistes. Vous êtes libres, chers lecteurs, d’imaginer la fin de l’histoire qui convient à votre humeur ou à vos fantasmes. Les plus éclairés ont remarqué combien cette histoire ressemble à des dizaines de milliers d’autres, chaque fois répétées, de l’accumulation capitaliste. A ceux-là, pour connaître la suite de l’histoire de Jean Petilait et de ses anciens copains, il suffira de regarder autour d’eux, d’ouvrir leurs yeux sans complaisance sur le monde réel. Pour ma part, si je devais tout de même imaginer une fin parmi toutes les options possibles, peut-être ressemblerait-elle à ceci : il est probable que Jean Petilait ou l’un de ses prête-noms devint PDG des CNMR, que Philippe, Jean-Charles, Patrice et Antoine vaincus, devinrent cadres, DRH ou contremaîtres à son service. Il faut bien gagner sa vie tout de même. L’entreprise grossit et diversifia ses activités. Une armée d’ouvriers et de salariés contribuèrent, en échange d’un maigre salaire, à accroître l’opulence du Magnat Jean Petitlait. L’équipe dirigeante s’employa à rogner les revenus ouvriers, salaires et droits sociaux, pour enrichir encore plus et plus vite, le gros tas d’or qu’on appelait à présent « le boss ». Puis, ils procédèrent à des restructurations et des délocalisations, jetant à la rue, « comme des kleenex », des centaines de salariés qu’ils avaient, des années durant, pressés comme des citrons. En remerciement de ses bons et loyaux services, le PDG fut payé 1 million d’Euros annuel.
Jean Petitlait, de ses copains a fait des serviteurs, il a perdu tous ses amis. Il a d’ailleurs aussi perdu sa femme. Maryse n’a pas supporté le coup pendable qu’il a fait à son frère Antoine et à ses anciens amis ferreux qui étaient ses copains d’enfance à elle aussi. Elle l’a plaqué, elle a bien sûr obtenu une pension alimentaire confortable. Mais Jean Petitlait est heureux puisqu’il est riche. De tous les petits déboires de l’existence, il n’en a cure. La pension alimentaire ? Un détail dans ses comptes. Des amis, il en a plus que jamais, il les achète à sa convenance. Une femme perdue, dix de retrouvées, il les achète aussi. La dernière en date est une ancienne mannequin sur le retour, gratteuse de guitare à ses heures, et qui à ce que dit la rumeur ferait aussi un peu l’actrice actuellement.
Quand à Daniel, dont nous avons fait la gouverne morale de cette histoire, nous refusons de croire qu’il s’est soumis, ni même qu’il a baissé les bras. Il s’est retiré en Ardèche, pas très loin de chez Jean Ferrat. Il a acheté un pré et deux ânes. Il attend son heure, il reviendra.
Mais tous, Philippe, Jean-Charles, Antoine et Patrice dans leur servitude, Daniel dans sa retraite, ont gardé en mémoire cette maxime de Maître Piègeman : « Le capital est une sorte d’avance que l’on a jamais fini de rembourser. ».

P.S., le 14 Août 2010.

1 - Clin d’œil au petit ouvrage célèbre, « Le droit à la paresse », de Paul et Laura Lafargue.

2 - La « conjuration des égaux », dirigée par Gracchus Babeuf contre de Directoire. Il en est resté cette expression qui désigne de manière générale tous les militants de l’égalité sociale.

3 - Yvon, le personnage de la chanson, était conducteur de trains, Loc est donc l’abréviation de locomotive.

4 - A l’époque où fut écrite cette chanson, le PDG de la SNCF était une « pédégère » (ne faut-il pas féminiser ?) : Mme Michèle IDRAC.

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