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  • LE CHÂTEAU DE MA GRAND-MÈRE.

    LE CHÂTEAU DE MA GRAND-MÈRE
    (Petite fable en prose pour soutenir la bonne humeur de l’été.)

    Il y a deux Week-End en arrière de cela j’ai enfin rendu visite à ma grand-mère. Il y a longtemps que la pauvre vieille se plaignait de mon inconstance. J’adore ma grand-mère, mais il faut dire qu’elle me gavait » avec ses histoires de bergères et de « Princes charmants ». Ce genre de balivernes avait bercé toute son enfance et sa jeunesse simple dans son village de moyenne montagne dont elle n’était guère sortie de toute sa vie. Et, avec l’âge, ce que l’on appelle la démence sénile l’avait ramenée aux sources. Proche d’être centenaire elle rêvait encore du Prince charmant, « bête » ou « cygne » qu’importe son apparence, qui l’emporterait pour l’épouser en son château de conte de fées.

    Vous comprendrez mon agacement, moi le cartésien, matérialiste, marxiste, épicurien, d’entendre les «fadaises » de la vieille radoteuse. Mais elle n’en était pas moins ma grand-mère et je l’aimais comme je l’ai déjà dit, et les liens du cœur faisaient que ma bouderie ne pouvait durer toujours. D’autant que lorsque nos ainés atteignent ces âges canoniques, on craint toujours à tarder de leur rendre visite de ne les plus voir jamais. Alors ça y est, j’ai mis mes griefs dans ma poche et mon mouchoir dessus, et je suis retourné voir ma grand-mère en me faisant la promesse d’écouter ses contes à dormir debout avec bienveillance, et même de leur accorder tout le crédit qui pourrait les lui rendre plus vraisemblables et plus doux.

    Il faut dire que ma grand-mère avait eu des prédispositions, elle fut bergère et jolie, de plus un prince, un vrai, elle en avait tenu un dans ses bras, aux temps mauvais de la disgrâce (qui précéda la Grace) elle avait allaitée le petit Prince d’une contrée célèbre. N’était-ce pas un signe du destin ? Aussi était-elle restée sensible à ces « belles histoires » d’antan où un joli prince vient tirer de sa misère une jolie bergère vêtue de laine pour l’emmener au château où on la vêtirait de soie comme une princesse. Elle y trouverait l’opulence et la quiétude des dominants et de la fenêtre en haut de sa tour pourrait contempler avec condescendance le petit peuple miséreux qui s’agite. Ah, le joli rêve de promotion sociale de pouvoir enfin soi-même marcher sur la tête de ses frères et sœurs.

    Ma grand-mère était gentille, d’un naturel trop débonnaire pour avoir de telles pensées mauvaises. Les rapports de classes, de dominants et dominés, ces considérations sociales ou politiques ne la concernait guère. Non, sa seule motivation était douce et naïve. Ce qu’elle voyait c’était le faste le confort, le luxe les robes de soie et les draps de satin, les lustres de cristal et les bijoux, les jolies vaisselles de porcelaines fines et dorées. Elle avait des goûts bien arrêtés en cette matière et si un jour elle devenait princesse elle se l’était promis, elle ferait renouveler tout le service du château. Mais le cœur était aux commandes et ce qui lui importait le plus tout de même c’était le tendre amour de son prince dévoué. Une merveilleuse histoire pour la petite fille qu’elle avait été et qu’elle était d’une certaine façon redevenue. Et pas un instant l’idée ne l’eut effleuré que toute cette richesse des gavés d’en haut était le produit de la misère des souffreteux d’en bas.

    Pour autant je vous en prie, ne tenait pas ma grand-mère pour une demeurée. Elle avait retenu, allez savoir comment, quelques chose de Machiavel qu’elle n’a pourtant jamais lu et dont elle ignorait tout jusqu’au nom. Par « Prince » elle entendait non seulement les « Princes du sang » ou « de titre » mais aussi de manière plus générale tout homme, Président, Dictateur, Empereur, Guide, etc. qui exerce le pouvoir. Pour être un Prince charment certes il faut être « beau », mais il faut être prince avant tout, c’est à dite avoir l’argent et le pouvoir. Avec l’argent, de beaux habits ajustés sur mesure par son tailleur particulier, son coiffeur personnel à 9000 euros par mois, une ribambelle de torche-culs et de cireurs de pompes, son esthéticienne attitrée, son « botoxeur » personnel, il est aisé de paraitre beau ; je dirai même que d’une certaine manière la beauté dans ce cas n’est guère qu’un accessoire de la richesse, elle s’achète comme le reste.

    Malgré trois ans supplémentaires j’ai trouvé ma grand-mère plus sémillante que jamais. Elle fredonnait encore les airs célèbres de ses chansons favorites : « Rossignol de mes amours », « Que sera sera », et « Tom Pillibi »* Après les discours convenus des retrouvailles, sur la santé, la nourriture, les douleurs de l’âge, les petites préoccupations du quotidien, grand-mère ne tarda guère à en venir à son sujet favori. Il faut dire que l’actualité lui en offrait l’occasion.

    - As-tu vu me dit-elle mon petit la femme du prince ?
    - Oui, bien-sûr.
    - En la voyant je me suis dit que malgré mon âge avancé, il faut bien l’admettre » j’avais peut-être encore une chance de trouver moi aussi mon prince charmant et de faire mon entrée au château »
    - Oui mémé, dis-je, plus fourbe que jamais, pourquoi pas »
    Vous vous souvenez que je m’étais promis de ne pas la contrarier.
    - Si pépé avait eu un pourpoint en brocard d’or plutôt que son vieil uniforme râpé des PTT, il eut été fort charmant,
    - Mais pas Prince. Imagine mon petit si j’avais épousé un prince !... Au lieu de grainetier de facteur des postes de cheminots ou d’aide soignantes j’aurais fait 11 petits princes et princesses.
    - Te rends tu comptes mémé 11 princes et princesses ce que cela aurait coûté au budget de la France ?
    - Les princes ne coutent rien gros béta, ils sont riches et généreux et viennent au secours des indigents.
    - Tu ne vas pas …. Elle me coupa.
    - Oui mon petit je vais te le dire, ce sont les pauvres qui coutent un pognon de dingue à la nation ;
    Je vous ai dit, et je confirme, que de son penchant naturel ma grand-mère n’aurait jamais tenu un discours aussi débile, mais là elle ne faisait que répéter celui d’un ignare officiel que « la télé » en ce temps ressassait en boucle. Il en va ainsi des gens simples, ils se font facilement abuser par la vérité officielle et la force de l’autorité, et une fois gravé dans le disque dur de leur cortex racorni il est difficile d’effacer le « post ».
    - Tu t’égares mémé ! –
    - Non mon petit (je mesure 1 mètre 88 et elle 1mètre 58) je crois même qu’il faudrait qu’il y ait sur terre plus de Princes et princesses riches et généreux, tiens comme lady D » pour venir au secours des indigents.
    Bon, ma grand-mère elle, a ici une bonne excuse, elle n’est pas comme Longlet, qui pense pourtant à peu près la même chose, une experte en économie politique.
    Je ne voulais pas la contredire sans cesse, je voulais qu’elle garde de cette visite, qui serait peut-être la dernière, un souvenir agréable, j’abondais dans son sens et c’est donc moi qui réactivait son délire.
    - Et puis s’il y avait plus de Princes charmants sur la terre tu aurais plus de chances de trouver le tient, de pouvoir enfin réaliser ton rêve d’être épousée par l’un d’eux. » avisais-je.
    - « Tu te moques, je suis trop vieille, hasarda-t-elle.
    Mais l’envie d’y croire encore un peu, de prolonger la rêverie de l’existence, l’emporta sur la raison.-
    - Remarques, ajoute-t-elle, maintenant que l’on voit des princes gérontophiles, pourquoi pas moi après tout »
    - Gérontophiles !... Je ne te savais pas cette culture linguistique mémé. »
    - Qu’est-ce que tu crois, j’ai beaucoup lu dans ma vie, j’ai toute la collection de la bibliothèque arlequin et toute ma vie j’ai été abonnée à « Nous deux » et à « Jours de France ».
    - Tu sais mémé, je te « charrie » un peu, mais en vérité je serais le premier ravi si tu épousais « le prince de la France », et je ne serais pas le dernier à me faire inviter au château. Je viendrais même tout un été pour passer des vacances avec toi dans la résidence officielle du prince au bord de « la grande bleue ».
    Un nouvel accès très court de raison l’inspira,
    - « non ce n’est pas possible, je ne suis plus très belle, j’ai beaucoup trop de rides à présent. »
    Je la regardais en souriant tendrement, ma grand-mère en effet ressemblait à une vieille pomme ridée ; mais la mauvaise foi sait faire des miracles quand elle est motivée par la tendresse.
    - « Tu es toujours très belle Mémé, … Pour ton âge. Et de nos jours, les rides, cela ne pose plus guère de problèmes avec le botox » et un bon chirurgien, si on a de l’argent pour payer.
    Et je pensais dans mon for intérieur qu’il en faudrait tout de même beaucoup et en plusieurs séances.
    - « Ça oui, pour le visage mais en monokini sur la plage on ne peut guère cacher la réalité, avec tous ces papa risibles » -
    - « Paparazzis grand-mère ! »
    - « Papa risibles,.. qui exposeraient nos photos dans la presse. Tout gérontophile et amoureux de moi serait-il, le prince ne supporterait pas que l’on expose en public « la ruine » que je suis devenue à laquelle son cœur s’attache.
    - Qu’à cela ne tienne mémé. Le Prince est le Prince, et de son fait » le Prince peut tout arranger, on arrange tout avec la puissance et l’argent, il fera construire une piscine entourées de hauts murs et vous pourrez vous baigner tous deux, même tous nus si ça vous chante, en toute intimité.
    - Ah mon petit, dit-elle, quel mensonge n’oserais-tu pas pour le plaisir de ta grand-mère ? »

    Je crois que ce sont les dernières paroles d’elle que j’ai gardées en mémoire. Reparti, ce ne fut guère de jours après que j’appris son décès. On m’a rapporté qu’elle tenait, serré contre son cœur, un exemplaire de Paris-Match avec en couverture une photo glacée « du prince de la France ».

    Elle est morte paisible dans son sommeil. Ça me rassure de croire qu’elle est partie en rêvant à son prince charmant. Voyant venir la mort en songe elle l’a peut-être prise pour Tom Pillibi. Elle est Reine, en ce cas j’en suis sûr, du grand pays où il l’a entrainé. Je l’aimais tant, je lui rendrai visite, comme Ulysse ou Télémaque j’irais la revoir je le promets, dans l’Elysée où elle séjourne, à côté de l’Erébe.



    Patrick Seignon. « lavoiedessansvoix.fr ». Jeudi 5 juillet 2018.

    *
    « Rossignol de mes amours » Luis Mariano 19.., « Que sera sera » Georges Guettary et Luis Mariano 1956, « Tom Pillibi » Jacqueline Boyer 1960 .
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